Bonjour zered,
Je comprends les interrogations dont tu me fais part, et je t'en remercie. Comme je l'ai expliqué sur mon site, le contexte de Jean 8:58 éclaire les mobiles qui poussèrent les Juifs à vouloir jeter des pierres à Jésus (voir Jean 8:37-47). En réalité, ce dernier dévoilait la méchanceté et le manque de foi de ses détracteurs, et c'est
pour cette raison qu'ils cherchèrent à le tuer. Loin de s'attribuer un titre qui ne lui revenait pas de droit, Jésus expliqua qu'il ne faisait rien de sa propre initiative (Jean 8:28), et qu'il ne cherchait pas à se glorifier lui-même (Jean 8:50,54).
La phrase
'prin Abraam génésthaï égô éïmi' se traduit littéralement "
Avant Abraham avoir été, moi je suis". Il est vrai que le verbe
'éïmi' est au Présent de l'Indicatif. Toutefois, ce temps, dans la langue grecque, peut emporter plusieurs nuances de sens. C'est ce qu'explique un célèbre grammairien, Ernest De Witt Burton dans son ouvrage
Moods and Tenses of New Testament Greek (que tu pourras consulter à l'adresse
http://www.dabar.org/BurtonMoodsTenses/05-presind.htm , si tu lis l'anglais).
On y lit en particulier que "
le Présent Indicatif, accompagné d'une expression adverbiale dénotant la durée et se référant au passé, est parfois utilisé en Grec, comme en Allemand, pour décrire une action qui, commençant dans le passé, est encore en cours au moment du récit. L'idiome Anglais requiert l'utilisation du parfait dans de tels cas".
Le verbe
'éïmi' en Jean 8:58 exprime un
état qui commence dans le passé ("avant qu'Abraham vienne à l'existence") , mais qui est
encore en cours au moment du récit (à l'époque de Jean). Tu trouveras dans l'article que j'ai publié plusieurs exemples où le Présent est employé dans ce sens, et où il est rendu dans plusieurs versions par un temps passé.
Maintenant, pour ceux qui tiennent à rendre
'éïmi' de manière littérale en Jean 8:58, ils ne doivent pas oublier que l'expression "Je suis" (grec
égô éïmi) ne correspond nullement à la tournure par laquelle Dieu se révèle à Moïse, selon ce que rapporte Exode 3:14. En effet, dans ce passage, comme je l'explique sur mon site, la
Septante désigne Dieu par l'expression '
ho ôn, et non
'égô éïmi':
"
L'Etant [grec ho ôn, et non ego eïmi] m'a envoyé vers vous ...". - Exode 3:14
Ainsi, ce n'est pas l'expression "égô éïmi" (je suis) que les traducteurs juifs ont utilisée pour désigner Dieu, mais plutôt
'ho ôn' (
l'Etant, Celui qui est). Il n'y a donc aucun parallèle à établir entre Exode 3:14 et Jean 8:58.
Par ailleurs, l'expression hébraïque
èhièh ashèr èhièh ne devrait pas se traduire, en Exode 3:14, par "Je suis qui Je suis", mais plutôt "Je serai qui je serai", car le verbe est ici à
l'inaccompli, emportant l'idée d'une action à venir. Tu trouveras d'autres précisions sur mon site à ce sujet :
http://perso.wanadoo.fr/nw/ex314.htm
Enfin, il ne faut pas oublier que Jésus ne s'adressait pas à ses contemporains en grec, mais dans l'hébreu de son époque. Il est intéressant de noter que des hébraïsants, tels que Franz Delitzsch ou Isaac Salkinson, ont rendu l'expression "egô eimi" de Jean 8:58 par "
anî hayîthi", où "
hayîthi" est
l'accompli du verbe "
hayah" que l'on rencontre aussi en Exode 3:14, mais dans sa forme
inaccomplie ("èhièh").
Il n'y a donc aucun parallèle à établir entre ces deux passages (Jean 8:58 et Exode 3:14), que ce soit en grec, ou en hébreu.
Bien cordialement,
Didier