Ecrit le 09 sept. 2007 05:28
Cher Thiebault,
Connais-tu le latin ? Connais-tu la racine du mot « roi » ?
Au cas où tu l’ignorerais, voici une petite leçon de philologie peut-être inédite.
Roi vient du latin « rex, reg-is » = celui qui dirige (de di-rig-ere, même racine). Cette racine reg-/rig-/rog- signifie proprement « mouvement en ligne droite, notamment verticale » (dresser) : ar-rec-tus (aux oreilles dressées), su-rge-re (se lever, se dresser : > surgir ), sur-rig-ere (faire dresser), rec-tus (droit au sens moral ou physique : > rectitude), e-rig-ere (dresser, construire : > ériger), etc.
Cela ne te fait penser à rien ? … Même si le sens plus courant/quotidien sans doute du verbe hébreux ‘amad n’a pas de correspondant latin dans cette racine, puisque le sens courant « se tenir debout devant/contre » serait évidemment rendu en latin par le verbe courant « sto/stare » (et ses composés), on remarque une parenté de champ sémantique frappante qui confirme l’usage du verbe dans le sens de « érection vers/pour une condition de chef, un statut royal ».
Considérons les occurrences signifiant ou pouvant signifier « une prise de pouvoir royal ».
En 8 ;22, Daniel nous fait part d’un Bélier dont la corne cèderait pour en voir pousser 4 autres. Ces 4 cornes figurent les 4 généraux qui se partagèrent l’empire d’Alexandre le Grand. L’histoire nous apprend que seuls 3 de ces 4 généraux sont effectivement devenus rois. Or, si un seul n’a pu y parvenir, c’est qu’il faut chercher une autre signification à cette occurrence.
Les Diadoques (généraux d’Alexandre le Grand) ont usurpé le pouvoir en en dépossédant ceux qui en étaient investi « légalement ». Il faut donc comprendre « ‘amad » dans le sens de « se rebeller », « s’insurger ».
Quels verbes utilisent les traducteurs, notamment ceux que tu as cités ? Vont-ils plutôt dans ton sens ou plutôt dans le nôtre ?
- TOB : s’élever
- Rabbinat : surgir
- J’ajoute Chouraqui : se dresser
Bizarrement, les traducteur ne te suivent pas mais emploie des termes, qui bien qu’ils soient différents, correspondent tout à fait au paradigme rex en latin, réseau sémantique qui a donc une correspondance avec cet usage du verbe ‘amad en Hébreux.
Enfin, puisque je suis honnête, j’entre complètement dans ton argumentaire concernant les 4 diadoques. Je regarde dans une encyclopédie pour vérifier si comme tu le dis, « seuls 3 sur 4 ont vraiment été rois ». Qu’y vois-je ?
Cassandre (en grec ancien Κάσσανδρος / Kássandros), fut roi de Macédoine (v. 358-297) et l’un des diadoques.
Lysimaque (en grec ancien Λυσιμάχος / Lysimákhos), né vers 361 av. J.-C., mort à la bataille de Couroupédion en 281, est un général macédonien et l'un des diadoques d'Alexandre le Grand. Satrape puis roi de Thrace à partir de 304, il est aussi roi de Macédoine de 285 à 281.
Ptolémée Ier Sôter, en grec Πτολεμαῖος / Ptolemaios, né en -367, mort en -283, est un général d'Alexandre le Grand et l'un des diadoques. Satrape puis pharaon d'Égypte, il est le fondateur de la dynastie lagide.
Séleucos (ou Séleucus) Ier Nicator, en grec ancien Σέλευκος Νικάτωρ / Seleukos Nikatôr (« le Vainqueur »), né à Europos en Macédoine vers 358 avant J.-C., mort près de Lysimacheia en 280, général d'Alexandre le Grand, satrape de Babylonie puis roi de Syrie (305 à 280), il est le fondateur de la dynastie séleucide.
Un célèbre dicton très sage me vient à l’esprit : « Dès lors, quand un argument n’est pas étayé sérieusement, on le balaie. » (appliquer aussi aux suivants …)
En 8 ;23, le roi qui s’élèvera est Antiochus IV Epiphane. Il a massacré les Juifs. La signification du verbe « ‘amad » n’est donc pas la prise du pouvoir royal mais bien le fait qu’il se dresse en ennemi d’Israël en mettant notamment Jérusalem à sac. Rien ne permet d’infirmer catégoriquement la tournure de phrase de la TMN mais il est audacieux de fonder une doctrine sur ce genre d’interprétation hasardeuse.
L’interprétation en terme d’ennemi d’Israel et non de royauté est invalide, car il s’agit d’importation illégitime de quelque chose d’hors-contexte. Le verset installe bien le contexte de ce « dressement » : deux fois la royauté est répétée : « règne/royaume » et « roi » qui se lève. Le verset ne dit pas du tout ce que FERA ce roi (ce que tu voudrais), mais QUE LE ROI APPARAÎT, naît, surgit, s’élève, se dresse au dessus de son peuple. Il n’est nullement question dans l’usage de ce verbe de l’opposition à Israel. Le verset développe d’ailleurs les caractéristiques de ce roi, et non ses actions futures. Il s’agit donc bien de dire ce qui est ou sera et non ce qui se fera.
En 11 ;2, il est signifié que trois rois vont « se lever » pour la Perse. Darius 1er est admis comme étant l’un d’eux, ainsi que Cyrus. Quand on sait comment l’histoire relate l’accession au pouvoir de Darius 1er, on se dit que le verbe « se lever » ne signifie probablement pas la prise du pouvoir royal. Mais le bénéfice du doute est là, laissons-leur. Nous verrons plus loin une preuve supplémentaire pour rechercher une autre signification à ce verbe (en 11 ;4).
Il faudrait proposer une autre interprétation valable pour contredire celle de « émergence d’un roi ».
En 11 ;3, c’est également assez sombre. On ne peut tirer de conclusion absolue sur ce verset. Laissons donc le bénéfice du doute pour le moment.
Voilà de la belle exégèse … comme il n’y a pas de complément à ‘amad, alors le verset est « assez sombre » et il faut renoncer à l’interpréter ? Aveu d’impuissance linguistique ou mauvaise foi ? Quiconque lit ce verset comprend parfaitement que JUSTEMENT, si le verbe ‘amad n’a pas de complément c’est parce qu’il suffit à lui-même à décrire l’émergence d’un roi, et que c’est cette seule émergence qui est PREDIQUEE (terme de linguistique, à chercher dans le dico si tu ignores le sens).
En 11 ;4, Daniel nous enseigne qu’un roi, une fois élevé, verra son royaume brisé. Est-ce que dans ce cas, « ‘amad » peut signifier « recevoir le pouvoir royal » ? Imaginez : est-il concevable de caractériser l’avènement d’un roi, dont l’avènement signifierait la fin de sa royauté ? Non, ce serait incohérent.
Pourquoi ? Justement, le verset reprend une structure archi-topique grandeur et décadence. Il s’agit de montrer qu’alors que le pouvoir royal vient juste de s’établir solidement, il est voué à la ruine. Sachant que le verbe ‘amad a un aspect duratif même s’il est conclusif (termes de linguistiques) : l’action de « se lever » prend du temps (l’instauration du règne a une durée propre) et ce temps arrivé à sa fin (instauration terminée, complète et stable), une chute arrive. Mais quiconque lit ce verset honnêtement comprend très bien que si le roi connaît une chute (il est destitué de son royaume), c’est bien parce qu’auparavant il a connu une élévation le menant au statut de roi. Et c’est cette élévation (vers ce statut) que prédique le verbe ‘amad, à nouveau, et sans conteste. Une royauté est constituée puis défaite, voilà ce que raconte le verset.
Ici, le roi dont question en 11 ;3 également, a voulu se révolter, ce qui a courru à sa chute. En laissant pour l’instant le bénéfice du doute pour 11 ;2 et 8 ;23 (tiré par les cheveux).
Où dans le verset ou le contexte proche y-a-t-il le moindre indice qu’il s’agit de « rébellion » ? N’est-ce pas plutôt TON interprétation qui est « tirée par les cheveux » ? Sans conteste !
En 11 ;7, il est fait référence à un successeur directement indiqué comme un militariste. La signification du verbe « ‘amad » recouvre ici la propension militaire qu’avait ce rejeton.
Ici tu as raison mais ton interprétation est tout à fait compatible à et intégrée dans l’accession à un statut royal. En effet, dans la plupart des peuples (sémitiques notamment), la direction suprême d’une armée est très proche du (voire assimilé au) statut de roi. Par ailleurs le champ sémantique métaphorique de la succession dynastique dans ce verset valide totalement cette interprétation.
En 11 ;20, il est fait part de ce qu’un roi qui s’élèvera (en envoyant un exacteur) verra son règne brisé. On ne signifie pas la fin d’un royaume en annonçant solennellement son avènement (voir commentaire pour 11 ;4). Ici encore, il s’agit d’une manœuvre militaire qui a conduit le roi à sa perte.
- Le Rabbinat ajoute explicitement « [un roi] se lèvera », c’est dire si pour les hébreux le sens est ici évident : il s’agit bien, à nouveau, de l’émergence d’un roi, même si le texte original ne contient pas le mot roi.
- Chouraqui a une autre leçon intéressante :
20. À sa place se dressera un tyran qui fera passer la splendeur du règne;
mais en quelques jours il sera brisé, non par sa fureur, et non par la guerre.
Là encore, le traducteur choisit un mot désignant un statut suprême proche de celui de roi. Ton interprétation est toujours pas valide puisqu’il s’agit bien d’annoncer prophétiquement le début, l’émergence d’un roi, puis sa prochaine chute, sa fin. Dans ce propos prophétique, le verbe ‘amad est utilisé pour prédiquer le début des royautés, l’émergence des rois. Le verbe n’a aucunement le sens militaire, qui n’apparaît qu’à la fin du verset (le verbe ‘amad, lui, est le premier mot du TO !! – qui est « tiré par les cheveux » ?).
En 11 ;21 voit l’avènement d’un roi que l’on attendait pas (la royauté lui ayant été refusée) et arrivé à ses fins par ruse. Une fois roi, il entre en guerre contre le roi du Midi. C’est ainsi qu’il faut comprendre « ‘amad » ici : son entrée en conflit avec le roi du Midi.
Même chose que pour le verset précédent, puisqu’il s’agit de la même structure syntaxique et sémantique. Et c’est même plus évident, puisque la fin du verset dit « il viendra quand tout sera tranquille et s'emparera de la royauté par de basses intrigues. » (Rabbinat). Le verset est donc bien consacré à son émergence indiquée par le verbe ‘amad (premier mot du verset). Ce verbe ne désigne nullement le conflit entre des rois, mais le fait qu’un roi s’établi à la place d’un autre.
En 11 ;31, le roi dont question précédemment enverra quelqu’un en son nom « prendre position ». Prendre le pouvoir royal à sa place ? Interprétation ridicule… Les forces qu’il enverra s’érigeront en adversaire de ses ennemis. Voilà ici le sens du verbe « ‘amad ».
Dans ce verset nul ne saurait affirmer que le verbe ‘amad a le sens d’émergence d’un roi … donc je ne vois pas l’intérêt de te contredire ici.
En 12 ;1, c’est le nœud central du débat : Michel doit se lever. « ‘amad » signifie-t-il « prendre/recevoir le pouvoir royal » ? Jamais de la vie. Il s’agit, de l’opposition de Michel face à l’oppresseur du peuple d’Israël. D’ailleurs, la traduction du Rabbinat et de la TOB est fort semblable.
Le verbe ‘amad est utilisé deux fois dans une phrase ou il n’est nullement fait mention de « l’oppresseur d’Israel ». Certes, la phrase suggère que Mikael va protéger le peuple de tout ce qui le menace. Mais c’est bien la le rôle d’un roi, et c’est bien ce statut que le verbe ‘amad désigne. Mais voyons la suite.
Voici la traduction de Chouraqui préconisée par Irmeyah :
Citation:
« En ce temps, Mikhaél se dressera, le grand chef dressé au-dessus des fils de ton peuple. Ce sera un temps de détresse comme il n’en a jamais été depuis que la nation existe jusqu’en ce temps. En ce temps, ton peuple s’échappera, quiconque se trouvera inscrit dans l’Acte.
On le voit, Chouraqui considère l’intervention de Michel dans une optique de protection du peuple d’Israël et non comme son avènement royal. Personne, hormis les traducteurs de la Watchtower et les témoins de Jehovah, ne considère Michel comme un roi, terrestre ou céleste. Rien n’indique clairement ailleurs dans la Bible qu’il reçoit un tel pouvoir. Rien ne permet de faire la clarté en faveur de la croyance des témoins de Jehovah. Dès lors, quand un argument n’est pas étayé sérieusement, on le balaie.
Premièrement, Mikael n’est certes pas directement qualifié de « roi » (melekh). Mais de quoi est-il qualifié ? TOB et le Rabbinat choisissent comme la plupart des traducteurs le terme « Prince ». Que signifie ce terme ? Originellement, il s’agit d’Auguste, l’Empereur de Rome (en république le sens de princeps était « premier citoyen », mais le contexte hébraique ne connaît nullement la république …). Etant donné le sens militaire attaché au statut d’empereur (originellement imperator = général suprême des armées), et le rôle militaire de Mikael (chef des armées célestes et protecteur du peuple … de par son pouvoir militaire), on ne peut qu’assimiler ces différents statuts qui se correspondent. Maintenant en ce qui concerne le vb ‘amad dans ce verset, il est certain qu’il désigne l’accession de Mikael à ce statut de prince et protecteur d’un peuple (autrement dit de roi …). Pourquoi le terme de melekh n’est pas directement appliqué à Mikael ? Plusieurs raisons l’expliquent très bien :
- Mikael identifié au Fils de Dieu, chef des anges, n’est pas l’Être suprême pour autant. Le désigner par le terme de « mélekh » en ferait quelque chose de négatif (à voir les sens que ce terme a dans le livre de Daniel, rappelons que tous les rois sans exceptions sont voués à la ruine, à la chute).
- Mikael devient, plutôt que « roi », « Prince » : terme adéquat qui signifie que Dieu confie à son Fils le pouvoir suprême sans pour autant qu’Il lui cède sa place. Un prince est bien en français quelqu’un qui en définitive détient le pouvoir mais qui est soumis à des lois ou à un personnage supérieur (voir 1 Co. 15 : 23-28). Le roi, lui, est sa propre loi, au dessus de tout : ce qui ne peut être légitimement (dans le contexte hébraique) que la position de Dieu, YHWH.
On peut d’ailleurs remarquer que dans le NT, aucun rédacteur ou disciple du Christ n’emploie directement le mot de roi concernant Jésus (on ne trouve jamais « Jésus » et « roi » dans le même verset de la part d’un serviteur de Dieu, je n’ai trouvé qu’UNE SEULE occurrence conjointe de « le Fils de Dieu » et « roi » dans tout le NT, en Jean 1 : 49). Ainsi même dans le NT on n’emploie pas directement ce terme appliqué à Jésus. On préfère de loin « Seigneur Jésus » ; tiens, ça me rappelle « Mikael, grand prince » …
En 12 ;13, on va comprendre clairement (le meilleur a été gardé par Dieu pour la fin…) que le verbe « ‘amad » ne signifie pas « prendre le pouvoir royal », ni « recevoir le pouvoir royal ».
L y est écrit que Daniel se lèvera pour recevoir son lot à la fin des jours. Daniel deviendra-t-il roi ? Non. Il s’agit de signifier à Daniel qu’il recevra la vie éternelle.
Là à nouveau, nul ne saurait prétendre qu’amad a le sens d’accession à la royauté ici.
Conclusion : jamais, en Daniel le verbe « ‘amad » ne signifie « prendre/recevoir le pouvoir royal ».
Ce « jamais » est singulier, tant le nombre de versets présentant ce sens est important et incontestable. Par ailleurs il y a certes lieu de nuancer, au moins de préciser ce sens que les TJ défendent. ‘amad n’a pas le sens de « roi », ou d’intronisation/couronnement, mais d’érection, d’élévation à un statut suprême, au dessus d’un peuple, à la tête, en tant que chef. On sait que Mikael est chef des anges ou archange. Mais le verset de Daniel est intéressant parce qu’il parle de Mikael en tant que « prince » protecteur du peuple des fils de Dieu. Le verbe ‘amad désigne donc ce basculement de Mikael d’un statut d’archange (depuis sa naissance) à un statut eschatologique suprême de chef pour le peuple de Dieu, pour lequel les Hébreux n’aiment pas beaucoup le terme de « roi » (négatif dans tout l’AT, Dieu réprouvant ce désir des juifs d’avoir un roi, et négatif dans Daniel surtout puisque tous les rois sont mauvais et éphémères).
Dans le contexte grec, basileia a un sens connoté différemment, puisque les grec (comme les latins d’ailleurs), eux, n’aiment pas la notion de roi, qu’ils considèrent comme un statut de barbare. En employant ce terme appliqué à Dieu (« royaume de Dieu », jamais de Jésus ou du Fils), les rédacteurs du NT vont donc quelque peu à l’encontre de l’opinion politique de la pensée grecque. Ce qui est normal puisqu’il s’agit de remettre en cause, que ce soit avec les sémites ou avec les greco-romains, les institutions politiques humaines et de
promouvoir le pouvoir légitime de Dieu et de son Fils, le Messie.